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À l’automne 2013, près d’une décennie avant que les NFTs ne viennent bouleverser le monde de l’art, j’ai commencé à rassembler une vaste collection d’œuvres 3D.

 

J’explorais alors Second Life. Dans ce monde virtuel, les items peuvent être soit uniques et transférables, soit duplicables et non transférables. Avoir un objet duplicable est de loin préférable puisqu’au fil des périodes de maintenance et autres mises à jour du métavers, celui-ci avale régulièrement les objets utilisés pour construire son propre univers, lesquels disparaissent alors dans le néant numérique. Un objet copiable est ainsi duplicable à l’infini, mais impossible à transférer à un autre compte.

 

Or, les objets non copiables, donc à exemplaire unique, vont très vite trouver leur usage.

 

Et leur valeur.

Mon désir de collectionnement a surgi sur Flickr, le réseau social où je publiais les images de mon avatar. Alors que je consultais le fil public de la communauté, j’ai vu apparaître une image intitulée darkroom supplies gacha de Floorplan. Les composantes d’une chambre noire photographique s’y trouvaient regroupées.  Bacs, bouteilles de chimie, pinces et bien sûr la pièce maîtresse : l'agrandisseur.

 

J’ai passé une décennie dans ma propre chambre noire, à explorer de fond en comble la photographie. En voyant cette reproduction du lot d’outils familiers, j’ai été émue, amusée ; j’étais cliente. Je voulais cet ensemble virtuel immédiatement. J’imaginais déjà l’installation que j’allais créer dans mon manoir de pixels. J’ai suivi le lien fourni avec l’image et je me suis téléportée sur le lieu d’un nouvel événement, dont je n’avais encore jamais entendu parler, et qui allait devenir le plus célèbre de l’histoire de Second Life.

Quatre fois l’an, The Arcade rassemble, encore aujourd’hui, des centaines d'artistes du monde entier pour présenter leurs collections de gachas.

 

Au Japon, les gachas, ou gachapons, sont des distributeurs automatiques fonctionnant avec des pièces de monnaie. Les joueurs tirent une manivelle et un prix aléatoire est expulsé par une gueule de métal. C’est généralement un jouet de collection, parfois une partie d'un ensemble complet. Contrairement aux distributeurs automatiques de jouets auxquels nous sommes habitués en Occident, les gachas ne sont pas des objets jetables bon marché ; les prix sont de haute qualité, souvent en édition limitée et populaires parmi les collectionneurs de tous âges.

Le gachapon a été popularisé dans les années 1960 par Ryuzo Shigeta, que l'on surnomme "gacha gacha Oji-san" ou le grand-père du gacha. Les distributeurs automatiques de jouets existent depuis les années 1880. Or, c'est à Shigeta que l'on doit l'idée d'enfermer chaque jouet dans les boules en plastique caractéristiques qui sont devenues synonymes de gachapon.

 

La version virtuelle proposée par The Arcade a immédiatement suscité l’engouement et une ferveur de collectionneurs. Alors que les collections réelles de gachapons se limitent souvent à des poupées, des miniatures ou des peluches, dans le monde virtuel, tout est envisageable. Que ce soit des parties corporelles, des véhicules, du mobilier ou encore de l’immobilier.

Lors de ma première visite à The Arcade, je ne connaissais rien aux gachas virtuels. Après avoir repéré au sommet d’une élégante machine l'image vue sur Flickr, j'ai acquitté le prix demandé, soit 50 lindens (environ 20 sous). Ça me semblait bien peu coûteux. Un ensemble du genre aurait facilement pu se vendre dix fois plus cher. Après mon achat, je me suis téléportée chez moi. Quelques secondes plus tard, en faisant apparaître ma nouvelle acquisition sur le plancher de ma maison virtuelle, j’ai été saisie d’effroi. Il n’y avait pas de boîte à ouvrir pour en extraire l’ensemble de la chambre noire. Il n’y avait qu'une paire de pinces. Peut-être n’avais-je pas bien vu les options d’achat.

 

Je suis retournée m’installer devant la machine. J'ai observé à nouveau l’image et j'ai noté que le mot RARE y figurait deux fois. Qu’est-ce que ça pouvait bien signifier ? J’ai cliqué pour payer à nouveau la machine. Cette fois-ci, des bouteilles sont apparues. En cliquant à répétition, j’ai vu les différents objets de la collection s’aligner dans mon inventaire. Tous des communs. Aucun RARE. Les doublons se multipliaient. J’avais six paires de pinces. J'ai dû dépenser l'équivalent de 5 $ pour obtenir la moitié des objets de la collection.

Autour de moi, des dizaines d’avatars cliquaient en même temps sur l’une ou l’autre des dizaines de machines à gachas. J’ai découvert ce jour-là des collections diversifiées et pleines d’imagination. Certaines comprenaient des instruments de musique science-fictifs, des bijoux animés, des bébés dragons qui pouvaient se transformer en compagnons avec qui se promener, ou des objets plus abstraits relevant de la sculpture expérimentale.

 

Je venais de m’aventurer sur un nouveau continent du métavers que je fréquentais depuis déjà six ans.

 

Je voyais passer dans le chat public des commentaires de gens heureux d’avoir remporté l’objet convoité et d’autres qui cumulaient un nombre indécent de communs dont ils ne savaient que faire. Un bot annonçait à répétition qu’il était possible de joindre le groupe de l’événement pour y échanger des gachas. J'ai alors publié dans le groupe une liste des objets de la collection qui me manquaient et j'ai immédiatement reçu de nombreux messages. J'ai échangé mes doublons avec d’autres collectionneurs dont certains sont encore aujourd’hui mes amis. Je suis devenue fan de plusieurs artistes, notamment le roi des gachas, iBi 8f8, dont je possède toutes les œuvres.

Mon amour pour les gachas a été doublement exposé sur deux couvertures de mes romans. LODE a réalisé la couronne de fleur intitulé Apple Blossom [cidonia] RARE qui masque le visage de mon avatar sur la couverture de De synthèse. Et Curling Wand & Flat Iron / Pink de l’artiste Floorplan, celle-là même avec laquelle j’ai amorcé ma collection de gachas, trône sur la réédition d’Ataraxie.

 

Nous sommes plusieurs collectionneurs de gachas à s’être intéressé aux NFTs. En 2021, j’ai rejoint la blockchain Tezos qui héberge une vibrante communauté d’artistes. J’ai d’ailleurs troqué mon chapeau de collectionneuse pour porter celui d’artiste et j’ai minté plusieurs de mes œuvres dans cet écosystème numérique. Une dizaine d’entre elles ont été acquises par la collection d’art permanente de la Fondation Tezos.

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images des gachas | texte :

KAROLINE GEORGES

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