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Karoline Georges

Au moment de la publication de mon premier roman, en 2001, l'autofiction était au cœur de toutes les conversations littéraires. Personnellement, je n’avais pas envie de mettre en scène mon existence. Au contraire, l’écriture romanesque était pour moi un moyen d'explorer l'altérité.

 

Le personnage central de mon premier roman est une créature de la science ; la narratrice de mon second, une femme obsédée par son apparence ayant subi d’innombrables chirurgies esthétiques. Pour ce deuxième titre, on a supposé, à tort, que j’avais cédé à l’appel de l’autofiction. J’ai plutôt tenté de saisir une approche du féminisme qui m’irritait profondément. Entrer dans le corps d'un personnage radicalement différent de moi, c'est apprendre à mieux comprendre l'autre.

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J’ai à peine effleuré l’autofiction avec « De Synthèse ». Pour les besoins narratifs de ce roman, je devais me plonger dans le flux de conscience d’une femme de ma génération, pour l'installer devant la télévision dès sa naissance et lui faire découvrir plus tard le continent numérique. Je ne cherchais pas à mettre en lumière mon histoire personnelle, mais plutôt celle d’un désir collectif de l'image et la manière dont elle s'est imposée intégralement dans notre culture, au point de nous plonger dans un monde de plus en plus virtuel.

 

L'autofiction n'a donc jamais été une piste de création stimulante pour moi. 

Plus encore, je n'étais pas à l'aise à l'idée de me montrer, de mettre en lumière mon visage, mon genre, mon âge, tout ce qui réclame une étiquette, une classification. J’ai même jonglé avec la possibilité de publier sous pseudonyme. Je ne sais plus pourquoi je ne l’ai pas fait. Je ne voyais pas la pertinence d’associer la physionomie d’une personne à son œuvre. De fait, j’écrivais pour me glisser dans une autre peau et, en toute logique, j’aurais dû créer un visage différent pour chacune des entités narratives que j’ai créées.

 

À bien y penser, je l’ai fait. La narratrice de « La Mue de l’hermaphrodite » apparaît sur la couverture de la réédition du texte chez Bibliothèque québécoise. L’enfant gris de « Sous béton » figure sur la couverture de l’édition originale chez Alto. Anouk A., l’avatar derrière laquelle se dissimule la narratrice du roman « De synthèse », pose de manière frontale sur l’image de la couverture. Ce sont ces visages qui importent. Pas le mien.

 

Lorsqu’est venu le moment de publier mon premier livre, donc, après une longue réflexion et beaucoup d'anxiété, j'ai décidé de créer une identité médiatique à partir de l'esthétisme de mes œuvres picturales. Ces images étaient très contrastées, en noir et blanc. Mon premier site web, en 2004, était complètement monochrome. Il l'est toujours d'ailleurs, vingt ans plus tard. Mon premier portrait d'autrice, publié par Leméac, me montre de profil, les yeux fermés, dans une image onirique presque floue. Je me cachais du mieux que je pouvais.

 

Tout ça pour dire que je n’ai jamais eu envie de jouer avec mon image. 

 

Du moins, jusqu’à l’avènement de l’IA.

Karoline Georges
Karoline Georges

L'intelligence artificielle est le thème central de mes deux romans en chantier. C’est un outil de création qui me fascine de plus en plus.

 

Ces jours-ci, je m'amuse à entraîner une IA. Au départ, j’avais un projet très précis : amalgamer une trentaine d'autoportraits réalisés depuis 35 ans. Créer une synthèse de mon apparence. Un palimpseste de tous mes âges pour accéder à mon vrai visage. Je voyais là un acte poétique. Une sorte de poursuite de ma quête du sublime, à travers mon reflet. Un reflet non plus éphémère, mais transtemporel.

En ajoutant des rendus de modélisation 3D au modèle qui me représente, je démultiplie les possibles. L’autofiction prend un tout autre sens : elle se transforme en fiction générée par un algorithme, lequel est guidé par mes instructions littéraires.

Mon visage, d’abord capturé sous différents angles et types de luminosité, s’est transformé en langage pictural personnalisé. Je crée des autoportraits fictifs qui révèlent pourtant mes vrais linéaments.  Au sein des images, je me reconnais et je suis autre, simultanément.

 

Je pourrais dire la même chose à propos de mes romans. J’entre en immersion dans un corps que j’incarne de manière virtuelle, le temps d’un récit. Ce dédoublement est libérateur et follement exaltant. J’écris pour me transformer en personnage de fiction.  Avec l’IA, je découvre l’autofiction photographique d’une manière littérale. Mon image n’est plus fixée par quelque regard externe, elle n’est plus anxiogène ; elle devient une pâte à modeler, souple, fluide, infiniment mutable.

 

Le processus de création à partir de mon alter ego synthétique ne fait que commencer.

 

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KAROLINE GEORGES

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